1000 vies (S. Eicher) : paroles de Philippe Djian

1000 vies (1996)
Paroles de Philippe Djian

Dis moi où - 1000 vies - Elle mal étreint - Traces
71/200 - Prière du matin - Oh ironie

    DIS MOI OÙ

    Je me sers de ta serviette
    Je la presse contre mon nez
    Je finis tes cigarettes
    Je les fume les yeux fermés
    J'interroge le coussin tiède
    Que tes fesses ont imprimé
    Quelquefois je touche des lèvres
    L'eau de ton bain parfumé
    Sur le sol
    Sur les murs
    Sur la mou
    Sur le dur
    Dis-moi où
    Si vraiment
    Il le faut
    De mes dents
    D'un couteau
    Je ramasse une herbe sèche
    Et je viens te la montrer
    Je ne dis rien quand tu m'empêches
    D'écrire et de travailler
    Tes amies au téléphone
    Me confient tous leurs secrets
    Je suis la patience faite homme
    C'est pour toi que je le fais
    Sur mon corps
    Ma figure
    Le sang ou
    La peinture
    Dis moi ou
    J'allume des feux à l'automne
    Et je danse, la nuit tombée
    Nous buvons un peu d'alcool
    Tous les deux, cols relevés
    Ma main au-dessus des flammes
    Vaut pour une oreille coupée
    Tu peux même ouvrir mon crâne
    Si tu veux te rassurer
    Dans les airs
    Dans la sciure
    Dans ton cou
    Dans l'azur
    Dis moi ou
    J'éternue quand tu t'enrhumes
    Et je ne l'fais pas exprès
    Un détail si ridicule
    Me réjouit, me satisfait
    Je sais que tu vas me dire
    Que je n't'ai pas répondu
    C'est que j'aime te voir souffrir
    Viens ici, que je te tue

     

1000 VIES

Aurai-je le mensonge à la bouche
La main droite posée sur le cœur ?
Serai-je habillé sous la douche
Ivre-mort ou glacé de peur ?
Serai-je en train de rendre l'âme
Avec une parfaite inconnue
Serai-je assis seul à ma table
Dans la pénombre, à demi nu ?
Pourrai-je te regarder en face
Et te dire : "j'ai fait c'que j'ai pu"
Pourrai-je seulement briser la glace
Et toucher ta joue, honte bue ?
Serai-je mûr pour demander grâce
Aurai-je ravalé mon orgueil
Ou en étoufferai-je sur place
Qui peut savoir ce qu'on recueille ?
Mille vies ne sont pas suffisantes
Mille hommes ne sont pas assez forts
Ne viens pas savonner la pente
Ne viens pas compliquer mon sort
Mille vies ne sont pas suffisantes
Mille hommes ne sont pas assez forts
Reviens si je suis à ma lampe
Ne reviens pas si je m'endors
Aurai-je un ami à ma table
Ou quelqu'un que tu n'aimeras pas
Serai-je encore une fois coupable
De faiblesse ou de je ne sais quoi ?
Serai-je dans mon lit comme un ange
Ruminant de mauvaises pensées
Ou pressant la peau d'une orange
Devant mes yeux pour m'éclairer
Aurai-je droit à ta bienveillance
Ou m'enverras-tu par le fond
Plus j'y réfléchis, plus je pense
Que je n'ai pas compris la leçon
Comment ai-je pu séduire ton âme
Autrefois, y as-tu songé ?
Toi et ton cœur invulnérable
Toi et ta foutue vérité
Mille vies ne sont pas suffisantes
Mille hommes ne sont pas assez forts
Ne viens pas savonner la pente
Ne viens pas compliquer mon sort
Mille vies ne sont pas suffisantes
Mille hommes ne sont pas assez forts
Reviens si je suis à ma lampe
Ne reviens pas si je m'endors

 

ELLE MAL ÉTREINT

Elle ne dort pas la nuit
Elle garde toujours les yeux ouverts
Elle me met dans son lit
Quand il n'y a plus rien à faire
Elle s'amuse toutes les nuits
Et me prend comme un dernier verre
Elle fait Ça si bien si
Spontanément que je m'y perds
Mais elle ne m'apporte rien
Elle s'allume puis elle s'éteint
Non, elle ne m'apporte rien
J'en ai l'envie, pas le besoin
Elle se lève toutes les nuits
Et s'interroge sur l'univers
Elle a beaucoup d'esprit
Beaucoup d'amis, beaucoup d'éclairs
On m'envie, on me dit
Qu'on la suivrait jusqu'en enfer
Qu'à son bras, c'est la vie
V majuscule qu'on s'est offert
Mais elle ne m'apporte rien
Elle s'allume puis elle s'éteint
Non, elle me m'apporte rien
Ni la joie, ni le chagrin
Elle déteste aujourd'hui
Ce qu'elle avait aimé hier
Elle a tant d'appétit
Que rien ne peut la satisfaire
Elle n'a pas de répit
Je l'admire d'une certaine manière
Même si elle m'étourdit
Même si je suis loin derrière
Mais elle ne m'apporte rien
Elle s'allume puis elle s'éteint
Non, elle ne m'apporte rien
Glisse comme de l'eau sur la main
Trop vieux pour ces conneries
Trop frileux pour les courants d'air
Je cherche toutes les nuits
Où est l'endroit de l'envers
Elle est si pleine de vie
Je suis si lourd, elle si légère
Parfois elle m'éblouit
Et parfois elle me sidère
Mais elle ne m'apporte rien
Elle s'allume puis elle s'éteint
Non elle ne m'apporte rien
Elle trop embrasse, mal étreint

 

TRACES

Je les entends parler
S'éloigner dans la rue
Puis tout à coup cesser
Disparaître de ma vue
Les liens se sont usés
Le temps nous a vaincus
Plus rien à partager
Que sont amis devenus ?
Comme des pierres
Comme la glace
Comme des sourds aux fenêtres d'en face
Sans colère
Sans grimaces
Sans retour et sans perdre la face
Chacun de nous le sait
Chacun en est conscient
Mais le vide nous effraie
Et le reste est décevant
La nuit nous a distraits
Quelques verrez nous aidant
Lucidité jamais
Ne vous fait le coeur content
Si l'on n'meurt pas d'un coup
C'est par petits morceaux
La toiture qui se troue
Puis la cave qui prend l'eau
Nous nous aimions beaucoup
Ne nous blessons pas trop
Amis je pense à vous
Et murmure dans votre dos
Comme des pierres
Comme la glace
Comme des sourds aux fenêtres d'en face
Sans colère
Sans grimaces
Sans retour et sans perdre la trace

 

71/200

Rien fait ce jour
Suis resté sourd
Pas desserré les dents
Regardé l'heure
D'égale humeur
Ni triste ni content
Ciel assez pur
Température
D'automne ou de printemps
Ne suis pas sûr
De la nature
De certains sentiments

Pensais te voir
Avant le soir
Mangé en attendant
Au crépuscule
Sur la bascule
71/200

Lu le message
De ce sauvage
Qu'on a eu pour enfant
Envoyé chèque
Bibliothèque
Envolée sur le champ
Rangé cuisine
Pris vitamines
Passé devant l'écran
Vu la peau rose
Entendu choses
Rien de très réjouissant

Vidé un verre
En solitaire
Dans le soir triomphant
O abstinence
O récompense
O les saints sacrements
Morceau de chair
Face contre terre
Brûlure des sentiments
Et pour finir
Suis monté lire
Et me laver les dents

Pensais te voir
Avant le soir
Mangé en attendant
Au crépuscule
Sur la bascule
71/200
 

PRIÈRE DU MATIN

Le matin, lui dire un mot
Ne pas tirer les rideaux
Ne pas faire toute la lumière
Ni poser un pied par terre
Le matin, comme un peu d'eau
Qu'on verserait dans un pot
Lui adresser une prière
La bénir si nécessaire

Petite lueur du matin
Qui tremble dans les mains
Si fragile et si légère
On a fait, on doit refaire

Brille encore que l'on te voie
Petite sœur dessous le drap
Petite lueur prisonnière
Petit éclat solitaire
Mets ton aiguille dans mon bras
Cherche ma veine et tue-moi
Que je renaisse et te serre
Contre moi, que je te serre

Petite lueur du matin
On hésite sur le chemin
Qu'on avait tracé hier
Manque de foi, manque de colère

 

OH IRONIE

On sait quand ça commence
Pas quand ça finira
On sait qu'on a la chance
Terrible d'être là
Malgré ce que l'on pense
De tout ce que l'on voit
Même si donner un sens
A tout ne se peut pas

Oh iro, oh iro
Oh ironie de nos danses
Oh iro, oh iro
Oh ironie de nos choix

On apprend la souffrance
On livre des combats
Qui sont perdus d'avance
Et qui n'apportent pas
D'issue, de délivrance
On fait n'importe quoi
On a peur du silence
On hurle dans les bois

Oh iro, oh iro
Oh ironie de nos danses
Oh iro, oh iro
Oh ironie de nos choix

Et vient la récompense
Quand on ne l'attend pas
Comme vient la pénitence
Quand on tendait les bras
On croit que l'on avance
En reculant d'un pas
On donne de l'importance
A ce qui n'en a pas

Butins et indulgences
Qu'on porte à bout de bras
énergie qu'on dépense
Que rien ne nous rendra
Oh stupide innocence
Oh fol ... et cætera
Cependant que s'avance
Le jour ... et cætera