Aimez-vous Djian?

«Assassins» est un vrai roman noir. C'est un huis clos à la manière de «l'Ange exterminateur».

Le dégoût de la littérature de Philippe Djian inspire aux critiques une telle allégresse et un tel talent qu'on aurait bien aimé nous aussi détester «Assassins». On s'y est efforcé. C'est vrai d'ailleurs que son dernier roman est écrit à la va-comme-j'te-pousse, tenez, à la manière de ce chansonnier suisse qu'il affectionne. C'est exact que ses imparfaits du subjonctif sont chics comme un clip en diamant sur un sarrau de cuisinière. Il n'est pas faux que ses personnages sont interchangeables dans une anecdote confuse et glauque. C'est juste que son style ressemble à s'y méprendre à une traduction d'un polar de la Série noire des années 50. Et puis, ce qui est plus exaspérant encore, que ce romancier-vedette jouant les Garbo à Boston, Biarritz, Bordeaux ou Venise soit couvert d'or par son éditeur, réputé pour son sens de la mesure dans la gestion des droits d'auteur. Et enfin y a-t-il une injustice plus criante que le caracolage de cet écrivain surfait en tête de liste des meilleures ventes en librairie? Dieu que le public est bête! Eh bien, on ne doit pas être très malin nous non plus. Car il faut avouer que, dès la première phrase du texte - «Je travaillais pour un assassin» -, on n'a pas lâché le fil du récit. Et pourtant la conjoncture n'était pas bonne. On l'a commencée, cette lecture, entre Paris et Marseille, dans un airbus d'Air Inter où le personnel de cabine sanglotait sur son monopole perdu qui lui permettait naguère de nous bousculer à la façon des zones de turbulences (c'est bien fait pour eux, ils n'avaient qu'à ne pas voter pour Maastricht comme leur a conseillé leur ministre, l'inénarrable M.Bosson). Nous l'avons poursuivie, cette fameuse lecture, dans le joli hôtel Beauvau, sur le Vieux-Port, avant et après la représentation du formidable «Falstafe» de Shakespeare-Novarina monté et joué par Marcel Maréchal avec notre chère Dora Doll. Et nous l'avons achevée dans l'avion du retour, en dépit des lamentations de plus en plus déchirantes du personnel de bord de la même compagnie nationale. Et, précisons-le, nous n'avons pas sauté un mot, une ligne. Vrai, quelle indigence de l'esprit! Alors, ces «Assassins »? En fait il s'agirait plutôt de pollueurs - l'inénarrable M. Lalonde nous dira que c'est du pareil au même -, réfugiés chez un certain Patrick Sheahan qui pleure une certaine Viviane. Réfugiés parce qu'il pleut et que cette pluie est le signe avant-coureur du déluge. On boit sec et on déguste des tartes à l'églantine. Il y a là Marc, Thomas, Jackie et une jeune Irlandaise, Eilen Mac Keogh, qui s'installe dans la maison de Patrick. Et, dans une pièce retirée, ligoté, bâillonné, assommé, plus ou moins ensanglanté, un inspecteur de l'Environnement venu enquêter sur les exactions des pollueurs en question. Huis clos à la façon de «l'Ange exterminateur» de Bunuel. On ne peut plus s'évader, on partage tout: les angoisses et les désirs, les élans du cœur (rares) et les mauvais coups (nombreux). Et ça se situe où, ça? Dans la campagne française, mais peut-être aussi bien en Irlande ou dans la province américaine. L'Amérique, oui, sensible grâce au ton de Philippe Djian, dans le genre Carter Brown saupoudré de John Fante. C'est passionnant. Ça se lit à cent pages à l'heure. On a vraiment beaucoup aimé. On a mauvais goût ou quoi?

 

 

© Jean-François Josselin, Le Nouvel Observateur n°1542, 26/05/94)