Sotos, le
nouveau roman de Philippe Djian
La vie comme une corrida
Q : Vous avez choisi un titre
énigmatique, Sotos...
Philippe Djian : Dans mon imagination, les Sotos sont les petits
démons qui vivent entre l'écorce et le bois, aplatis comme des
galettes, et dont on entend les cris lorsque les arbres grincent ou
craquent à la tombée du jour. J'ignore s'ils sont bons ou mauvais.
Pour moi, ils symbolisent le côté magique, mystérieux de la forêt.
Et aussi ce rapport particulier avec le sol qui est celui de mes
personnages principaux, cette famille de grands propriétaires terriens,
dont la véritable richesse est leur pouvoir sur l'espace et les gens
qui y vivent. Une richesse dont la dimension est tout autre que celle de
la simple richesse financière. Par opposition à la fluidité, aux
aspects insaisissables de la vie qui passe, j'ai voulu installer cet
enracinement, cette relation profonde avec la terre, la lumière
naturelle, les couleurs, les saisons. Et cette terre est rude.
Justement, à la différence de vos
précédents romans, Sotos se déroule dans des lieux bien
précis...
Oui, au point que j'aurais pu en faire une carte ! Cela dit, c'est
un puzzle : tant qu'à inventer une histoire et des personnages,
pourquoi ne pas inventer un lieu ? Mais, en effet, j'avais des paysages
précis en tête, qui se situent tous entre les Landes et l'Andalousie.
Par exemple, ce n'est pas un hasard si beaucoup de noms, sans être
véritablement des noms basques, sont à consonance basques...
Sotos est construit en trois
parties intitulées tertio, ce qui évoque directement les trois
temps de la corrida...
Bien que ce ne soit pas un roman sur la corrida, j'ai le sentiment
qu'entrer dans la vie, c'est entrer dans l'arène. On est jeune, plein
de feu et on croit que la vie est à vos pieds. Puis vient le moment où
les problèmes surgissent, où on reçoit les châtiments, comme le
taureau reçoit les piques, puis les banderilles. La vie se charge de
vous calmer, de vous faire comprendre que ce qui va se passer est un peu
plus compliqué qu'il n'y paraissait. Arrive enfin la mise à mort, ou
tout au moins quelque chose qui peut y ressembler.
On pourrait lire aussi ces trois périodes de la corrida comme la
métaphore des trois âges de la vie, incarnés ici par trois
générations d'homme : Mani, dans la fougue de ses dix-huit ans, Vito,
qui affronte la quarantaine, et Victor Sarramanga, le grand-père.
Un roman initiatique ?
Oui, dans le sens où tous les personnages y font - durement - leur
apprentissage de la vie. Ils découvrent que ce qu'ils désirent de
toutes leurs forces ne peut pas se faire parce que c'est trop tôt ou
trop tard. Le jeune Mani cherche une direction, un chemin. Vito cherche
à revenir dans les pas qu'il s'était tracés. Bob, l'écrivain en
panne d'écriture, cherche une inspiration nouvelle... Tous sont à la
recherche de quelque chose, qu'ils trouveront ou non à la fin du livre.
En fait, les seules histoires que j'aime à raconter sont des histoires
initiatiques !
Entretien initialement paru
dans le Bulletin Gallimard, 1993.
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