Assassins, Entretien avec Philippe Djian

 

Assassins respecte la règle classique des trois unités...
C'est vrai, et pourtant ce n'était pas du tout prémédité ! Ce qui prouve que cette règle peut être tout à fait naturelle. Cela dit, il ne s'agit pas, pour moi, d'accomplir un tournant vers le classicisme. Simplement, Assassins correspond à une période plus calme dans mon écriture, à une respiration.

Après la purification par le feu de Sotos, Assassins est axé sur la purification par l'eau. Est-ce l'amorce d'un cycle ?
Non, mais il est exact que j'ai choisi de prendre le contre-pied de Sotos. Comme je n'aime pas les étiquettes, j'ai tourné le dos à ce "Sud incertain" dans lequel je ne veux pas être enfermé. J'ai donc décidé qu'il s'agirait d'un huis clos dans le froid et la pluie. De même, cela m'amusait d'écrire un roman plus court, plus resserré, qui soit presque une longue nouvelle.

Vous vous êtes donc fixé des contraintes...
En commençant un roman, je ne sais jamais où je vais. Mais je sais, en effet, qu'arrive un moment où je m'impose une contrainte. Pour Assassins, je me suis dit : "Si j'enferme un type dans un coffre de voiture, qu'est-ce qui va se passer ?" Et j'ai décidé d'installer cette situation à un moment pas très logique de l'action, où les personnages n'étaient pas encore assez mûrs pour y faire face. En décalant ainsi les choses, les personnages sont en permanence rattrapés, dépassés par les événements extérieurs.

Assassins aborde un thème qui vous est cher, celui de la re-naissance...
Cette impression qu'on n'est pas né, qu'on n'est jamais abouti, m'intéresse vraiment. On est chacun des assassins de sa propre vie - d'où le titre du roman. On la gâche, on la piétine, tout en étant persuadé que l'on pourrait vivre une vie meilleure, dont on tente de s'approcher. Et c'est quand tout s'écroule qu'on prend les décisions importantes. Quand tout est à plat, que plus personne ne vous retient, on peut faire le pas. Comme le fait un seul des personnages.

Eileen McKeogh, à la fois tendre et forte, participe-t-elle de cette re-naissance ?
Elle incarne l'inconnu qui attire et fait peur à la fois. Aller vers elle, c'est oser cette re-naissance, ce passage peut être dangereux. C'est pour cela que Patrick Sheahan oscille entre elle et son ancienne maîtresse qui représente la simplicité, la sécurité. Jusqu'au moment où la nature déchaînée l'obligera à franchir le pas.
C'est vrai que je n'avais jamais abordé un tel personnage de femme dans mes livres précédents. Mais, en réalité, j'ai depuis toujours l'impression d'écrire un seul très long livre. C'est pour cela qu'ils ne se finissent jamais tout à fait.

 

Entretien paru initialement dans le Bulletin Gallimard n°403, 05/1994