Entretien avec
Pascale Haubruge, Le soir (08/06/02)
Les impliqués dans la lutte contre les injustices qui, comme vous
l'écrivez dans « Ça, c'est un baiser », veulent en découdre
avec « les fossoyeurs du tiers monde, les partisans du nucléaire,
les laboratoires pharmaceutiques et tutti quanti » vous tapent-ils
sur le système ? Voudriez-vous pouvoir « Déjeuner en paix »,
comme vous l'avez écrit dans une chanson pour Stephan Eicher ? Ils ne m'embêtent pas, non. Je donne peut-être l'impression de me
moquer d'eux, mais ce sont plutôt des gens que j'apprécie. C'est
difficile d'être d'accord avec toutes les organisations représentées
aux manifestations antimondialisation de Gênes, mais j'aime bien leur
esprit de résistance. Je fais partie d'une association de plus :
celle qui lutte pour que la langue reste vivante. Les auteurs que vous aimez, Kerouac en tête, ont de nouveau une
belle place dans votre roman. Continuez-vous à payer vos dettes ?
N'avez-vous pas l'impression de valoir parfois la critique de Marie-Jo
à Nathan quand elle lui dit qu'il picole dans une décapotable et
gribouille dans des carnets juste pour se donner un genre ? Je parle toujours des livres que j'aime dans mes livres. Et Kerouac
est un de mes grands compagnons de route. Cette fois, je l'intègre plutôt
pour rigoler. Lui, Hemingway et les autres sont tellement importants
dans ma vie que je ne peux pas me comparer à eux, sinon avec dérision...
Je me rends bien compte que l'admiration que j'ai pour eux peut faire de
moi une espèce de groupie. C'est stupide, mais c'est comme ça. Alors
j'en ris. C'est aussi pour rigoler que vous épinglez Catherine
Millet ? N'est-ce pas plutôt parce qu'elle vous vole votre public
en parlant de sexe ? Je n'écris pas tant que ça sur le sexe... Mais oui, j'ai mis
Catherine Millet dans mon roman pour m'amuser, et dire un peu ce que
j'en pensais. Quand elle se contentait de dire qu'elle avait écrit son
livre parce qu'une femme ne doit pas rougir de sa vie sexuelle, ça
allait. Mais quand elle s'est mise à parler de l'« écriture
blanche » qu'elle apportait, je n'ai plus été d'accord. L'écriture de votre dernier roman a un petit côté désabusé,
comme si vous manquiez de passion. On dirait que vous écrivez sans désir,
au même titre que Nathan est prêt à tirer à pile ou face s'il doit
choisir entre ses femmes... Je suis beaucoup moins persuadé qu'avant que la passion est un bon
outil pour écrire. Je ne suis pas sûr que l'énergie à tout prix soit
un bon moteur littéraire. Certaines pages de Kerouac me semblent trop
lyriques, violentes, puissantes. Il y a presque trop de souffle... Je
suis plus attiré pour le moment par des écrivains de la rétention,
tels que Carver ou Christian Gailly. J'essaye de me situer entre les
deux. Mais c'est peut-être vrai qu'on peut faire un parallèle avec
Nathan, incapable de choisir une femme plutôt que l'autre parce que ça
signifie de toute façon en rejeter une. Nathan et Marie-Jo, les flics narrateurs de votre roman, sont à
la fois nostalgiques et confrontés au présent... Ils ont des problèmes de passé, mais leur métier et leur vie privée
les obligent à prendre en compte le monde comme il va. Nous sommes en
ce moment à une période charnière entre présent et avenir. Ce temps
de passage est forcément chaotique et incertain. Les grandes
oppositions ne sont plus la gauche et la droite, mais l'ouverture ou le
repli. Allons-nous ou pas fermer les yeux sur tous ces gens qui meurent
aux quatre coins sur la planète ? Votre roman doit se passer en Europe, vu qu'on y paye en euros, et
il se situe dans une ville traversée par un fleuve. Mais à part ça...
Êtes-vous trop paresseux pour en écrire plus ou voulez-vous inventer
votre propre géographie ? Ce n'est pas de la paresse ! J'ai besoin de me sentir à l'aise
dans ma géographie, oui. Les villes avec des fleuves me plaisent car on
n'y est jamais complètement enfermé. Et j'aime bien que l'Europe se
concrétise. Pouvoir me dire tout à la fois de Londres, Florence et
Paris me plaît. La France, c'est trop étroit !
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