Djian tel qu'en lui-même

Le dernier Djian est un livre de milieu: celui des flics, des femmes et de la contestation.

Jennifer Brennen, la fille d'un big boss de la chaussure de sport, est sauvagement assassinée. Nathan et Marie-Jo sont chargés de mener l'enquête. Ensemble sur le terrain, les deux policiers le sont à un autre niveau, pour ainsi partager des moments d'intimité in situ. Nathan vient de se faire plaquer par sa femme, Chris; et même si Marie-Jo vit toujours avec son mari, Franck, ce dernier vient de virer homo.
Si les relations des deux protagonistes sont pour le moins complexes, on ose à peine évoquer la pléthore de personnages secondaires. Tenons-nous en d'abord aux deux héros à qui Djian prête la plume à tour de rôle. Un récit à quatre mains où le romancier semble avoir utilisé l'enquête policière comme simple prétexte à charpenter une histoire où affleure avant tout l'observation des personnages et de leurs comportements - son dada.

INSCRIT DANS SON ÉPOQUE

Nathan est presque quadra - `huit mois encore, avant la dégringolade, avant d'attaquer le versant sombre de la colline´-, Marie-Jo, trentenaire. Rappelons que Djian, lui, est quinqua. Et si on lui reproche de ressasser toujours les mêmes thèmes de la même manière, ses aficionados continuent de suivre ce romancier catalogué `tendance´, inscrit dans son époque. C'est qu'il n'a pas son pareil pour jeter, par-ci par-là, ses petites sentences de désenchanté.
Pouvait-il dès lors disposer d'une meilleure matière que la globalisation et les manifestations anti ou alter-mondialistes? Toujours est-il que celui qui devait avoir la petite vingtaine en mai 68, s'en est emparé. Par le biais du grand, du blond, de l'athlétique et de l'activiste Wolf dont s'est entichée Chris, l'ex de Nathan! `Chris se tenait derrière lui, en compagnie d'une brochette de professeurs ou de représentants d'organisations qui voulaient en découdre avec l'injustice, avec les fossoyeurs du tiers-monde, les partisans du nucléaire, les laboratoires pharmaceutiques, les assassins de l'agro-alimentaire, les tueurs de baleines, les banques, les fonds de pension, le sida, le FMI, l'OMC et tutti quanti.´ Le monde, en ce début de 21e siècle, en un cliché. Tout-économique et réussite individuelle précédant de loin le bien commun.
Djian évoque encore, dans un français qui se parle, le sexe cru et sans amour - `Cette femme en uniforme, je l'ai baisée. J'ai arraché ses écouteurs et je l'ai flanquée par terre. Des seins énormes. Un slip informe qui lui rentrait dans les fesses´ -, aborde la violence d'une manière oppressante - mais ni plus ni moins que dans nombre de polars, par exemple -, rend bien la réalité quand il évoque les villes polluées - `les gaz d'échappement formaient dans le ciel un léger brouillard saumon pâle qui semblait palpiter dans la chaleur du soir´ - ou crépusculaires - `Un flic aimera toujours observer la ville endormie, même si une faible lueur d'incendie vacillait au loin, même si des chiens errants se livraient un combat acharné au milieu des poubelles, même si des types galopaient sur le trottoir en bondissant par-dessus les voitures.´
Au final, à défaut d'un récit haletant, on reconnaîtra à Philippe Djian d'être un écrivain qui trempe sa plume dans les mœurs, les préoccupations, les styles et les modes de son temps. Le nôtre.

© Marie-Anne Georges, La Libre Belgique (04/07/2002)