Noir comme l'enfer Les
personnages d'écrivains hantent l'œuvre de Philippe Djian. Depuis le célèbre
auteur incompris de 37°2 le matin à cet autre qui, dans Vers
chez les blancs, se met à l'écriture d'un roman porno pour
renflouer son compte en banque; en passant par le poète vieillissant de
Maudit manège, l'amer romancier et auteur de scénaris d'Échine,
et, enfin, l'écrivain en herbe de Ça, c'est un baiser, dernier
opus signé Djian. Mais dans ce dix-huitième titre d'un auteur en
pleine maturité, Nathan, le héros écrivain, fou de Kerouac, a un métier
qui le fait se démarquer de ses prédécesseurs. Écrivain de la réalité Moins polar que roman noir, Ça, c'est
un baiser prend le prétexte d'une enquête pour dépeindre une société
où tout est désormais possible: où l'on peut être prof de littérature,
gai et marié à une femme policière; où l'on peut être flic, écrivain
et fracasser des vitrines pour plaire à son ex-femme militante; où
l'on peut être policière, obèse, et désirable. Une société qui
baigne dans une atmosphère post-attentats ("Plus on cherchait à
la reprendre en main, d'une poigne autoritaire, plus le ciel rougeoyait
- sans même parler des tours qui s'effondraient, des ponts qui
valsaient, des types qui se faisaient sauter au milieu de la
foule"), où plane, partout, la menace des multinationales
("Est-ce que tu sais que George Fisher, le P-DG d'Eastman Kodak, a
supprimé plus de vingt mille emplois en 1997, et qu'il a eu, la même
année, un portefeuille d'actions estimé à soixante millions de
dollars?"). Un monde désabusé, inquiet, qui "dort la lumière
allumée". Et pourtant... "Malgré nos efforts acharnés pour
massacrer ce monde, dira Marie-Jo, le rendre invivable, le rendre
odieux, le recouvrir de notre crasse, de notre bêtise, de nos
sentiments haineux, malgré tous nos maudits efforts pour le salir et
l'enterrer sous nos bombes, malgré tout ça", on peut encore voir,
en levant les yeux, s'étaler "un ciel magnifique, d'une beauté
absolue". © Marie-Claude Fortin, voir.ca (08/2002)
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