Voilà un livre à prendre au second degré, voire au trente-sixième
degré. Philippe Djian, décidément prolixe ces derniers temps, entame un
feuilleton en trois saisons (les deux autres volumes apparaîtront en
2006). Il est intitulé «Doggy bag». Vous savez? Le sac dans lequel les
restaurants américains vous donnent tous les restes non consommés de
votre repas. Pour le chien.
L'auteur d'«Impuretés», reprend les ressorts des séries
californiennes, les pimente de télé-réalité, de soap brésilien, et
les remixe à sa sauce romancière pour les fourrer dans son «Doggy bag».
Comme toujours, il a pris soin de trouver les phrases les plus
contemporaines, les plus basiques, comme on parle aujourd'hui. Roman
miroir de certaines de nos moeurs, roman vite écrit sur 2005, il faut le
prendre avec recul, sinon il ne sera vraiment qu'une série télé de
plus. Ni plus ni moins.
On y retrouve, comme dans «Impuretés», toutes les générations,
aussi paumées l'une que l'autre. Des êtres qui cherchent le bonheur mais
ne le traquent que dans les belles bagnoles, le sexe et le vermouth. Il
n'y a pas une phrase qui dépasse le niveau du bar ou de la calandre dans
«Doggy bag». Des coups de théâtre judicieusement placés de temps en
temps relancent l'intérêt et annoncent le volume 2, comme il se doit
dans tout feuilleton.
Deux frères et des bagnoles
L'histoire se passe en Californie, semble-t-il, chez les deux frères
David et Marc, qui, ensemble, tiennent un magasin de grosses bagnoles.
Leur mère, Irène, un peu alcoolique, traîne dans le coin, comme le père,
Victor, vieux lubrique repenti. L'histoire démarre quand Edith revient
après vingt ans d'absence. Elle fut la maîtresse des deux frères. Elle
a aujourd'hui une fille de vingt ans, Sonia, la fille d'un des frères
(mais lequel?). Josianne, infirmière aux seins plantureux, est la petite
amie de David, et Béa, la secrétaire du garage, est folle amoureuse des
deux patrons qui pourtant la négligent. Le garage s'effondre à cause
d'une erreur de la ville, un enfant se noie dans cinq centimètres d'eau,
un handicapé scotche à la superglu les portes de la Porsche. Tout cela
n'empêche pas les frères de reluquer les fesses de filles, et les filles
de se demander comment les hommes pourraient penser à autre chose qu'à
leur cul.
Le critique d'art et commissaire d'exposition Eric Troncy signait récemment
un article dans «Le Monde» où il estimait que l'art contemporain
faisait de plus en plus appel aux concepts de la «télé-réalité» et
copiait le réel, purement et simplement. A New York, actuellement, la
galerie la plus branchée de Chelsea (Ileana Sonnabend) montre trois
installations vidéos où des gens de la rue imitent tantôt Michael
Jackson, tantôt Madonna. Comme si l'art avait aujourd'hui pour mission
première de refléter les hoquets de la société, comme le font les émissions
Loft et compagnies.Philippe Djian ne fait pas autre chose, mais avec les ressorts du
romanesque, avec sa plume, avec une sorte de jubilation à manipuler ce
monde vain qui alterne entre cuites et pleurs, entre sentimentalisme et
vulgarité.
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