Philippe Djian : "Ca c'est un baiser", entretien

 


Dérapages dans le Vermouth

Un feuilleton à la sauce Djian: mélo, crises de larmes et rythme endiablé. Décapant!

En voilà un roman saugrenu, en permanence sur le fil du rasoir et gonflé à l'hélium! Comme son titre l'indique, Doggy bag est un ramassis de n'importe quoi: un fond de sauce télé, une resucée de soap brésilien, avec quelques tranches de Dallas et une couche des Feux de l'amour pour faire bon poids. Il est signé Philippe Djian, l'écrivain le plus imprévisible de la littérature française, capable du meilleur mais aussi du franchement moins bon. Un garçon mal élevé qui se fout totalement de ce que l'on pensera de lui, des bonnes et des mauvaises cases où l'on range les romanciers de littérature générale. Ce type-là écrit comme il respire et tant pis si, parfois, il a mauvaise haleine. Avec ce nouveau roman, il s'attaque au bon vieux feuilleton des familles, en décortique tous les codes et les adapte à sa propre écriture, à son rythme romanesque, à ses fantaisies de créateur. Il campe chaque personnage archétypal avec une jubilation de gamin: Irène, la mère qui écluse ses bouteilles de vermouth dès dix heures du matin. Le père ectoplasmique. David et Marc, les fils pas trop malins, l'œil braqué sur les fesses des filles. Ces deux-là sont tombés amoureux de la même femme, Edith, se sont battus pour elle et réconciliés lorsqu'elle eut le mauvais goût de disparaître. Le récit commence avec le retour d'Edith, toujours aussi explosive, en compagnie de sa fille Sonia.

Le mélo est prêt à monter comme une mayonnaise avec mensonges et passions impossibles, scènes de cul et crises de nerfs. Et ce livre n'est que le premier volet d'un triptyque dont les deux autres parties seront publiées en 2006. Le lecteur en a pour son argent puisqu'il est sûr de découvrir à la moindre occasion une belle crise existentielle avec de l'alcool et des larmes. Philippe Djian démonte les rouages et les remonte souvent à l'envers, histoire de rire un peu. Juste un exemple pour donner la couleur: «Elle lui dit qu'elle avait rendez-vous chez son dentiste. Avant de la quitter, Joël lui dévora les lèvres pendant une longue minute et lui glissa une main entre les jambes. Mais il ne s'y prenait pas bien du tout. Et c'était fatigant à la longue.» Chaque page offre son pesant de messages bas de gamme. Djian vient d'inventer un nouveau jeu qu'il faudrait suggérer à toutes les familles françaises rongées par le petit écran: fermez vos téléviseurs et créez vous-mêmes la suite de l'histoire. Imaginez Edith, Marc et David dans le salon, faites entrer Irène. Clap, c'est à vous.

Christine Ferniot, Lire, octobre 2005