Philippe Djian : "Ca c'est un baiser", entretien

 

Djian en série
Dans "Doggy bag", le romancier invente un nouveau concept : le roman à épisodes. Plaisir de lecture garanti.

Pour doper les ventes, rien ne vaut Béa, la secrétaire. Elle n'a peut-être pas fait Sup de Co, mais, à 32 ans, elle sait y faire avec le client. Dans le garage Mercedes-Benz des frères Sollens, où sont pourtant alignés toutes sortes de modèles haut de gamme, c'est elle, l'intérieur cuir. Une petite bombe qui flaire le client à cent mètres, et sait lui faire miroiter, en tirant sur son quart de jupette, des avantages substantiels : « Certains hommes couchaient avec Béa dans le but d'obtenir une réduction sur l'achat de leur voiture. Sur certains modèles, ils pouvaient réaliser une économie appréciable. » Hé oui, avec Béa, ce n'est pas pour rien qu'on vous offre la clim.
Quel garagiste, ce Djian ! Un dépanneur hors pair, toutes mécaniques et carrosseries. Intervention à toute heure. La fiction est en panne ? Les mêmes causes, dans le roman actuel, produisent les mêmes effets ? Djian hisse la vieille Panhard Levasseur sur le pont pivotant, et il en fait une Avantime aux accessoires innovants. Il vidange, il graisse, il fraise. Et emprunte, dans « Doggy Bag », aux infaillibles techniques du sitcom américain, qu'il adapte cependant aux moeurs françaises : « De gré ou de force, toutes les filles finissaient par y passer, que l'affaire se déroulât dans la chambre des parents ou sur le carrelage de la cuisine, dans une flaque de bière, ou sur une table, au milieu des sandwiches. Pour les types, il suffisait d'attendre. » Au fond, Laclos ne pensait pas autrement. S'il avait seulement connu le sitcom, il n'aurait jamais succombé au genre épistolaire. Balzac aujourd'hui ? Il eût torché, sous Word, les huit cents épisodes de « Six Feet Under ».

Djian l'a bien compris, qui raconte, à la manière des séries américaines, les aventures sentimentalo-sexuelles de David et Marc Sollens, les heureux propriétaires du garage. David, qui est à la fois, selon sa fiancée, « un bon baiseur et un type attachant », une perle rare donc, couche avec Josianne, une infirmière divorcée qui, malgré les cours de gym, n'arrive pas à corriger cette généreuse silhouette qui la fait prendre, de dos, pour Jennifer Lopez. Pas de chance, elle a aussi un ex-époux jaloux, qui bombarde sa maison de cadavres de petits animaux et soude, à la superglu, les portières de la Porsche de son nouveau fiancé. Les crapauds morts, passe encore. Mais la toute dernière Cayenne ! Tout irait bien, au garage, si Edith, qui enflamma naguère le coeur des deux frères, ne faisait un jour un come-back retentissant. La suite ? Au printemps prochain. On y mettra encore la main aux fesses de Béa, et rien que d'y penser, ça vous réchauffe l'hiver.

Didier Jacob,Nouvel Observateur, 03/11/2005

En chiffres
Djian vend bien. Quelques chiffres de ses récents succès (première édition et poche confondus) : « Sotos », 180 000 exemplaires, « Assassins », 150 000, « Criminels », 70 000, « Sainte-Bob », 85 000, « Vers chez les blancs », 190 000, « Ça c'est un baiser », 140 000, « Frictions », 100 000. Son dernier roman, « Impuretés » (Gallimard), s'est vendu (hors ventes poche) à plus de 73 000 exemplaires.