Philippe Djian : "Ca c'est un baiser", entretien

 

20 h 45, le soir,  par Laurence Debril
 

Grand amateur de séries, Philippe Djian l'écrivain présente Philippe Djian le téléspectateur

Philippe Djian reçoit dans un café de Saint-Michel, à quelques encablures de son domicile. L'écrivain vient de publier Doggy Bag. Saison 2, deuxième volet d'un ensemble qui en comptera six. Un roman à épisodes qui reprend les mêmes principes que les séries, un genre dont il est fan. Petit profil du téléspectateur Djian.

Sa première série choc
«Twin Peaks. L'ancêtre de toutes les bonnes séries. L'imagination foisonnante de David Lynch s'est merveilleusement coulée dans ce format télévisuel. Ce qui fait la différence, à la télé comme en littérature, c'est le point de vue: tordre le regard du public pour lui montrer les choses différemment. Dans Twin Peaks, la question de savoir qui a tué Laura Palmer devient assez vite secondaire. Ce sont les personnages qui importent, leurs interactions, leurs petites manies, l'univers qu'ils créent, l'agent Dale Cooper, avec son Dictaphone et ses mille manies, la femme à la bûche...»

Sa série universelle
«Les Soprano. Pour moi, c'est du niveau de Beckett et de Shakespeare. Certains trouveront peut-être ce jugement sacrilège, mais je maintiens! Lorsque Christopher, le neveu de Tony, passe quinze minutes dans un van, coincé dans la neige, on n'est pas loin d'En attendant Godot... Les Soprano ont un degré de qualité actuellement inégalé à Hollywood, à part peut-être dans le cas de certains films du cinéma indépendant. Tony Soprano est un mafieux, mais, en réalité, ce sont ses rapports avec sa femme, ses enfants et sa psy qui sont passionnants.»

La série qui le surprend le plus
«Six Feet Under. Dans un même lieu, une entreprise de pompes funèbres, des individus en proie à des questionnements existentiels travaillent et vivent, tout en restant connectés au monde extérieur. Trois strates de l'humanité coexistent: au sous-sol, on embaume les morts; au rez-de-chaussée, on accueille les familles en deuil, avec chacune une histoire différente; et, à l'étage, on est en prise avec les drames du quotidien des héros. Pour mon livre Doggy Bag, je me suis inspiré des deux frères de Six Feet Under, David et Nate [ses deux héros se nomment d'ailleurs David et Marc].»

Ses rituels
«Je suis beaucoup trop impatient pour attendre l'épisode suivant d'une semaine sur l'autre. Alors, quand je récupère une saison complète (que j'achète parfois sur Internet dès sa sortie aux Etats-Unis), je regarde tout en bloc. Là, je suis capable de commencer le soir à 20 heures et de me retrouver à 4 heures du matin, affalé sur mon tapis, à continuer d'enchaîner les épisodes! Mais j'avoue que ce n'est pas un rituel propre aux séries: je fais pareil avec la littérature.»

Livre ou série
«J'aime l'idée de me tenir en immersion, que ce soit dans l'intégrale de Twin Peaks, dans La Crucifixion en rose, de Henry Miller, ou dans A la recherche du temps perdu, de Proust. La longueur me plaît. J'éprouve une ivresse particulière à pénétrer dans un autre univers et à me déconnecter de la réalité. A me retrouver à l'aube et ne plus savoir où je suis. J'aime m'attaquer aux chantiers d'ampleur: c'est pour cette raison que je me suis lancé dans la rédaction de ces six "saisons" de Doggy Bag. Les histoires ne m'intéressent pas: Sophocle et Shakespeare ont déjà tout dit. Ce qui me passionne, c'est la forme. J'admire les écrivains qui savent faire tenir tout un monde dans une phrase. Et certaines séries sont capables d'évoquer toute la condition humaine en une scène.»

Jimmy consacre une soirée spéciale, le 9 avril, à Philippe Djian, avec un entretien et la diffusion de deux épisodes, l'un des Soprano (saison 6, épisode 1), l'autre de Six Feet Under (saison 5, épisode 10). A partir de 20 h 45.