Les télé-romans de Djian
Philippe Djian poursuit son projet de série télévisée,
mais en mots.
Curieux projet: Philippe Djian s'est lancé dans une série de romans sur
le moule des séries télévisées les plus populaires. Il avait déjà
publié «Doggy bag, saison 1 ». Quelques mois à peine plus tard, voilà
«Doggy bag, saison 2 », un livre à prendre à nouveau au second, voire au
trente-sixième degré.
Amusé lui-même par l'aventure, il annonce encore quatre autres volumes,
quatre saisons supplémentaires de «Doggy bag» qui seront publiées d'ici
2008. «Doggy bag», c'est, comme chacun le sait, le sac dans lequel les
restaurants américains vous donnent tous les restes non consommés de votre
repas. Pour le chien.
Philippe Djian imagine six volumes pour raconter les tribulations d'une
famille particulièrement déjantée sur le mode de «Dallas» et autres «Dynasty».
Djian est un romancier qui veut coller au plus près de son époque,
adaptant son écriture et son fil romanesque à la société dans laquelle
il vit pour mieux la dénoncer, et pour mieux parler des hommes et des
femmes qui y survivent avec leurs émois, leurs sensibilités et leurs
ridicules. Tout le monde a encore en tête son roman «37 °2 le matin» qui
donna lieu à un célèbre film.
UN DÉLUGE SUR LA VILLE
Il adapte ici, au roman, les trucs et usages des séries télévisées américaines,
les pimente de télé-réalité et de soap brésilien. Cela ne vole jamais
très haut. Les amateurs de littérature plus raffinée se détourneront de
«Doggy bag», mais ils perdront alors ce reflet cruel, caricatural et décapant
d'une certaine société américanisée, proche du néant intellectuel.
On retrouve dans «Doggy bag 2 » les protagonistes du premier opus. Deux
frères riches, gestionnaires d'un magasin de voitures de luxe. Ils
multiplient les ennuis avec leurs maîtresses et leurs enfants putatifs.
Leur obsession est le sexe et la Porsche à vendre, soit la consommation
dans toute sa platitude. Tous les êtres, dans ce roman, cherchent le
bonheur mais ne le traquent que dans les belles bagnoles et le vermouth. Il
n'y a pas une phrase qui dépasse le niveau du bar ou de la calandre. Des
coups de théâtre judicieusement placés de temps en temps relancent l'intérêt
et annoncent le volume 3, comme il se doit dans tout feuilleton.
Dans ce deuxième volume, Josianne, l'infirmière, est enceinte et épouse
David. Marc se décide à vivre en couple avec Edith, son amie d'enfance qui
lui a avoué que sa fille Sonia est aussi la sienne. Tout cela n'empêche
pas les frères de reluquer encore les fesses des filles, et les filles de
se demander comment les hommes pourraient penser à autre chose qu'à leur
cul.
Une scène d'anthologie se déroule en plein marathon (un double de celui
de New York). Un déluge tombe sur la ville et, comme lors des inondations
de New Orleans, l'été dernier, la ville sera longtemps paralysée par la
montée des eaux.
Philippe Djian manipule ce monde vain qui alterne entre cuites et pleurs,
entre sentimentalisme et vulgarité, avec les ressorts du romanesque, avec
sa plume, avec une sorte de jubilation. Comme dans une série télé mais
avec le décalage des mots.
©
Guy Duplat,
La Libre Belgique,
07/04/2006