Philippe Djian : "Ca c'est un baiser", entretien

 

Impuretés, de Philippe Djian

Nous avons donc le vingtième livre d'un auteur représentatif d'une littérature française qui prend l'accent américain, et se veut en prise directe sur l'époque. Il y a un drame dans la famille des Trendel, un couple formé par un écrivain et une comédienne, très loin du mythique mariage d'Arthur Miller et de Marilyn Monroe, car les époux en question, qui ont connu une éphémère gloire avant de sombrer dans l'anonymat, ne vivent plus que d'expédients, articles insipides et spots publicitaires.
La disparition brutale de la fille des Trendel obsède tant son frère que ce dernier se réveille toujours avant l'aube, d'autant plus que de mauvaises langues le soupçonnent de n'être pas tout à fait étranger à la noyade de sa sœur, dont le corps a été retrouvé au fond d'un lac. Après une prometteuse ouverture de roman noir, l'auteur tombe vite dans la caricature du genre, sans une once d'humour.
Les clichés y sont si présents qu'ils anéantissent la sensation initiale de fluidité dans la lecture. La mère endeuillée se met-elle en colère ? Elle s'enflamme tel «un tonneau de poudre noire, arrosé de whisky pur», tandis que son mari Richard, incorrigible toxicomane, jette l'argent par les fenêtres. L'auteur ne recule pas devant une «dérégulation trajectorielle» pour expliquer la descente aux enfers des parents qui furent, jadis, des spectateurs non engagés de Mai 68. Devenus adultes, ils se sont mariés sous la présidence de Mitterrand et ont eu des enfants pour faire comme tout le monde.
Le romancier perd le fil de ses personnages. Hormis une très belle maison achetée au temps de leur splendeur, les Trendel ne possèdent plus rien du faste de leurs débuts respectifs et sont réduits à incarner la sentence de Francis Scott Fitzgerald : «La vie est un processus de démolition.»
Fidèle à sa réputation, M. Djian émaille sa prose de mots vulgaires avec l'espoir de donner de la vie à son style sans âme. On le dirait soumis à un quota d'images d'Epinal de la sexualité, et cela aboutit à un fatras de séquences convenues qui forment la toile de fond.
Parmi les héros secondaires, on trouve une fille obèse, un vieux hippie, un agent artistique et un inspecteur de police. On croise même l'acteur Bruce Willis, placé là pour donner l'illusion que l'on est en train de lire un polar américain traduit en français. Et certes, on ne demande pas à un écrivain d'être lui-même dépressif pour nous émouvoir, le minimum est qu'il soit lui-même ému s'il veut nous intéresser. Une scène d'anthologie pour le genre qui frôle sans cesse le ridicule. La tentative de ce garçon de 14 ans d'opter pour l'amour platonique et qui le conduira à tenter de s'émasculer à l'aide de débris de verre... Plus kitsch, on aura rarement vu, et quel pathétique aussi chez le narrateur, dans sa volonté de faire jeune à tout prix.

 

© Bernard Morlino, Le Figaro, 17/02/05