Rencontre
avec Philippe Djian
à l'occasion de la parution de Impuretés
Une colline : superbe, couverte de maisons de luxe. Un drame : Lisa
est retrouvée noyée dans le lac après une soirée pas très claire.
Evy, son frère, mutique et énigmatique pourrait bien être
responsable. N’importe où ailleurs, les choses seraient vite
réglées. Sur la colline, royaume de l’apparence, les façades
cachent d’invraisemblables malentendus...
Gallimard : Impuretés… Pourquoi ce titre ?
Philippe Djian : Le personnage
central du roman, Evy, quinze ans, ne voit autour de lui que l’impureté,
sous toutes ses formes : une mère qui n’hésite pas à coucher pour
faire carrière, un père qui a des problèmes de drogues, une
microsociété où tout est permis… Face à ce monde d’impuretés,
il n’accepte pas de fonctionner selon les mêmes schémas. Il cherche
à établir une autre relation avec les filles, en refusant tout rapport
sexuel avec elles, en se préservant en quelque sorte. Mais sa solution
n’est pas la bonne, il se retrouvera dans une impasse. Cela dit,
personne autour de lui n’a de meilleure solution. Et dans le monde où
nous vivons, ça rime à quoi, la pureté ?
Gallimard : Ni Evy ni ses amis ne semblent avoir de
projets ?
Philippe Djian :
Quels projets ? On nous avait promis la fin de l’Histoire, un
monde ultra-protégé, nous en sommes loin ! Nous vivons dans un monde
dont on ne sait pas dans quel état il sera demain, quel pays va
basculer dans la guerre… Au même âge, ma génération, celle de mai
68, avait des idéaux : on croyait à un futur idyllique. Mais en fait
nous nous mentions à nous-mêmes.
Gallimard : Les adultes dans votre roman n’ont rien de
modèles…
Philippe Djian :
Ils font surtout ce qu’il ne faudrait pas faire. La mère d’Evy
sent qu’elle perd le contact avec son fils, mais elle est incapable d’y
remédier et ses réponses ne font qu’envenimer les choses. Quant au
père, qui croit toujours que " tout va s’arranger ", il n’imagine
rien de mieux que de partir avec la petite amie de son propre fils !
Mais ce père drogué, qui a raté sa carrière d’écrivain, n’est
pas l’unique responsable : son propre père s’est lui aussi montré
insuffisant. Tous ces gens ne savent pas comment diriger leur vie, et
celle des autres encore moins. Ils ne se donnent pas les moyens de
réfléchir à leur destin. C’est un peu la théorie des dominos :
chaque génération transmet son propre mal-être à la suivante, on
fait des générations d’individualistes, d’égoïstes, de paumés.
Gallimard : Seule la drogue semble tout résoudre…
Philippe Djian :
Mes personnages n’arrivent plus à supporter le monde tel qu’il
est sans aide extérieure : drogues, calmants, stimulants, euphorisants…
Il y a des drogues pour tout et c’est très difficile de vivre sans,
parce qu’on a envie d’être comme le voisin qui a l’air plus
heureux, plus jeune…
Gallimard : Mais les personnages n’ont-ils pas tout
pour être heureux ?
Philippe Djian :
En effet, si on coupait le son, tout pourrait sembler aller très
bien, il y a des fêtes, des lampions, l’argent coule à flot, la vie
semble une succession de bonheurs. Mais derrière les paillettes, il y a
cet effondrement silencieux, ces réalités sordides, abominables…
Gallimard : Et la tempête qui vient balayer tout cela ?
Philippe Djian :
La pureté du grand ciel bleu après l’orage symbolise cette
aspiration à un destin plus grand, plus beau, plus valorisant, que nous
portons en nous… Mais ce fantasme de " tabula rasa " ne
mène à rien, ni dans le roman ni dans la vraie vie.
In Le Bulletin Gallimard n°456,
Janvier-Février 2005, ©
Gallimard)
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