Philippe Djian crache ses colères et vide son sac

Annoncé il y a deux ans, dès la sortie de La Sainte Bob, le porno de Philippe Djian débarque en librairie, poli et astiqué comme un des godemichés qui animent le fondement de cette œuvre littéraire non dépourvue d'âme. De quoi s'agit-il? D'une histoire d'amour, bien sûr. L'amour d'un homme pour sa femme morte et dont il attend la permission de renouer avec le sexe sans la tromper, c'est-à-dire sans y mêler de sentiments. Vers chez les blancs, comme on dirait vers chez les Papous, trace sa piste dans le milieu littéraire parisien vu comme une tribu dont l'auteur, à l'abri de son repaire suisse, ne fit jamais partie. Écrivain raté qui connut son heure de gloire, Francis, le narrateur, est chargé par son éditeur de veiller sur Patrick, jeune prodige de la littérature et virtuose de l'écriture pornographique. Autour d'eux, les classiques germanopratins: agents, éditeurs, critiques, le tout brassé dans un mélange de flirts, d'intérêts artistiques et surtout financiers.

A travers 375 pages, Philippe Djian aborde quelques-unes de ses obsessions: la mainmise des multinationales sur les secteurs juteux, l'obsession du fric, le danger écologique. Dans ce pessimisme généralisé plane une grâce paradoxale, dévoyée et tragique, une enfance vieillie qui court après ses rêves: rêve de Madonna qu'on mettrait bien dans son lit, rêve de célébrité... Djian prête à son (anti) héros, trafiquant de drogues et revendeurs de tee-shirts de la Bundeswehr, une ingénuité épatante dans la relation de ses affaires, y compris copulatoires. Car on finirait par l'oublier, Vers chez les blancs est aussi un bouquin porno qui travaille le sexe au corps tout en laissant l'effroi de côté: il s'agit de nommer ce que deux adultes consentants peuvent se faire à l'abri des regards, de parler plus fort que les images. L'auteur y parvient grâce à l'emploi d'un style détaché et plein d'humour qui s'accommode d'une langue parfois précieuse, truffée de subjonctifs dont l'effet fait merveille.

Lancé à fond dans son entreprise pornographique, Djian crache tous les morceaux. Comme il le dit lui-même, ce n'est pas avec de la bile qu'on fait de la littérature, mais avec de la colère. La sienne n'est pas dénuée de tendresse. Cela compense une propension à trop en faire. Car le stupre à outrance tourne vite à la guimauve et le sexe lasse hélas! Par ailleurs, les fans de Djian liront avec profit le récit exceptionnel des rencontres entre l'écrivain et Catherine Flohic (éditions Flohic): une remontée aux sources doublée d'un portrait de l'écrivain au travail. Éclairant.

 

© Laurence Liban, Lire, 05/ 2000